Le point de départ est une phrase de Maurice Blanchot extraite de L’écriture du désastre, « Si tu écoutes “l’époque”, tu apprendras qu’elle te dit à voix basse, non pas de parler en son nom, mais de te taire en son nom », où viennent se nouer deux motifs, au moins, celui d’une structure d’inscription (se taire) et celui d’une historicité (l’époque), articulation singulière qui invite à esquisser comment le suspens d’une époque pourrait être envisagé ou mis en œuvre comme un se taire. Vouloir recueillir se taire comme une trace conduit à dépasser la conception ordinaire de la trace, liée à une distinction sensible entre ce qui fait trace et le fond qui lui fait entour (articulation qu’on dira horizontale ou en à-plat), pour proposer une approche différentielle (qu’on dira verticale) dans laquelle une trace est constituée comme la différence entre ce qui est phénoménalement présenté à la sensibilité (ce qui joue le rôle d’un fond avec trace) et ce qui est supposé qu’il y aurait s’il n’y avait pas cette trace (ce qui joue le rôle d’un fond sans trace). Le caractère hypothétique de ce qui joue le rôle du fond sans trace signifie qu’une trace, comprise en ce sens, procède d’une décision d’interprétation : une trace n’est donc jamais donnée comme telle dans la phénoménalité (puisqu’elle procède d’une décision d’interprétation), quoiqu’elle ne s’évapore pas dans l’immatérialité (puisqu’elle requiert la matérialité de ce qui est présenté à la sensibilité en rôle de fond avec trace).
Lorsque la distinction sensible entre fond et trace s’évanouit, la conception ordinaire ne détecte plus rien (il n’y a pas de trace), puisqu’elle dépend du fait que la distinction fond/trace soit accessible à la sensibilité. En revanche, un tel évanouissement ne supprime pas l’éventualité qu’il y ait trace au sens différentiel, puisque ce qui est en jeu n’est pas un contraste sensible entre un fond et une trace, mais la différence entre deux termes, l’un en rôle de fond avec trace, l’autre en rôle de fond sans trace. On pourra dire que de telles traces sont indécelables (sous-entendu : relativement à la conception ordinaire horizontale) bien qu’il y ait trace (au sens différentiel de l’articulation verticale). Le texte explore diverses incidences et ramifications d’une telle approche différentielle. Il dégage l’effet de voile d’abîme qu’elle implique et en propose différentes « traductions ».